Il s'agit d'un bref résumée de l'article qu'a publié la revue "Recherches Internationales", en juillet 2006.
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Les influences des organisations religieuses sur la politique contemporaine
au Japon
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OTOMO Ryu
Politocologue, journaliste
Le bouddhisme et le shintoïsme constituent les éléments majeurs de la culture religieuse du Japon. Le christianisme s’y ajoute de façon accessoire. Celui-ci n’a survécu que difficilement, dans une marge clandestine de la société, à la suite des persécutions durables dont il fut l’objet au cours du processus de restructuration du féodalisme, au XVIIème siècle, pour ne retrouver la liberté de sa mission qu’au milieu du XIXème siècle. Vu dans la longue durée de leur développement après l’établissement du système féodal, les religions japonaises n’ont pas pris appui sur la conscience et la morale des individus, mais sur les autorités profanes. Elles ont été intégrées aux instances et aux procédures de la gouvernance politique, perdant ainsi leur spontanéité. A partir du XIXème siècle, la conflictualité interne que cela entretenait sur le plan des dogmes a donné naissance à de « nouvelles religions » ou à de nouvelles « sectes », mais celles-ci ont connu le même phénomène que les religions établies. C’est une des raisons pour lesquelles, les religions du Japon n’ont pas construit de pensée anti-guerre pendant la période fasciste ([9]).
La situation perdure aujourd’hui, qui voit les activités religieuses en relation subordonnée au pouvoir politique dont elles reçoivent une protection économique. Cette situation a déterminé durablement la relation fondamentale existant entre les milieux religieux et le Parti libéral-démocrate (PLD). Il va de soi que cela a provoqué des insatisfactions et des mécontentements dont on retrouve un reflet dans les attentats perpétrés en 1995 par la secte Aum, qui avait séduit un certain nombre de jeunes.
Le concept de clientélisme permet d’englober les spécificités de la relation entre les grandes organisations religieuses et le PLD, mais ce clientélisme a eu pour résultat de contribuer, pour une part, aux tendances nationalistes et fondamentalistes qui se manifestent dans le pays. Les activités des extrêmes droites religieuses influencent clairement et activent les décisions politiques du PLD. On peut voir en elles la force motrice du glissement plus marqué encore à droite de la formation conservatrice.
Le Parti libéral-démocrate a été créé en 1955 comme le rassemblement de différentes organisations conservatrices qui représentaient l’extrême droite d’avant la guerre, la droite libérale, la nouvelle couche de hauts fonctionnaires, etc., après le processus de formation et de dissolution des organisations politiques qui a suivi immédiatement la défaite de 1945.
Un demi-siècle s’est écoulé depuis et le PLD est resté constamment au pouvoir, à l’exception de la période allant d’août 1993 à juin 1994, où il se retrouva dans l’opposition à la suite de la scission qu’il venait de subir. Cette longévité est d’autant plus remarquable que le parti a connu depuis les années 1970 un effritement durable de ses positions. De ce fait, il n’est plus en mesure de former à lui seul le gouvernement. Après la parenthèse de onze mois qui vient d’être évoquée, il a accepté de participer, jusqu’en janvier 1996, à un gouvernement de coalition dont le chef était issu du Parti social-démocrate. Depuis cette dernière date, il détient à nouveau le poste de premier ministre, mais en coalition avec le Parti libéral (absorbé par le Parti démocrate en 2003) à partir de janvier 1999, puis avec le parti bouddhiste dès octobre de la même année. C’est cette configuration qui prévaut actuellement. Le PLD ne détient en effet que 46,3% des sièges à la Chambre des Conseillers, le sénat japonais.
Le PLD n’est pas un parti homogène dans son organisation. C’est plutôt un rassemblement de différents courants ou « factions » (au nombre de huit présentement), ayant pour objectif primordial de s’assurer et de conserver le pouvoir. Pendant longtemps, la force d’agrégation de chacune des factions tenait à l’obtention et à la redistribution de fonds politiques. Mais, afin de perpétuer son hégémonie, le parti conservateur a introduit en 1995 un système de financement public des formations politiques (en 2006, le PLD doit recevoir à ce titre 16.846.000.000 de yens, soit environ 229.584.000 euros), qui a renforcé considérablement la direction du parti puisque c’est elle qui redistribue les fonds politiques, en lieu et place des chefs de faction comme c’était le cas auparavant. Néanmoins, le caractère du PLD comme rassemblement de factions demeure valide.
Plus important sans doute est le fait que l’organisation du PLD se définit comme la somme des clientèles de chaque élu à tous les niveaux de la représentation populaire. Au niveau de ses parlementaires, les comités de soutien (kôenkai) sont formés surtout de personnes liées aux industries, aux coopératives agricoles, aux professions libérales, aux congrégations religieuses, etc., lesquelles se combinent aux branches locales d’organisations nationales – des branches industrielles, des professions libérales, des congrégations religieuses, etc. –
Il s’agit là d’un clientélisme typique et les congrégations en constituent un des éléments les plus importants. Il semble bien que Koizumi Junichiro ait été très sensible à cette donnée structurelle, à cause vraisemblablement de sa faiblesse à l’intérieur du Parti libéral-démocrate, du moins durant la phase initiale de son administration. Par exemple, dans son cabinet remanié à la veille des dernières élections législatives, non seulement 11 des 13 ministres étaient membres de l’organisation des parlementaires (dont Koizumi en personne était le vice-président) liée à la Jinja Honcho – l’Association des sanctuaires shintoïques -, mais aussi une sénatrice, que soutiennent les nouvelles sectes Reiyûkai et Mahikari, détenait le portefeuille de la Commission nationale pour la sûreté de l’Etat, qui a la responsabilité de la police, et un sénateur, qu’appuie la nouvelle secte Bussho gonen-kai, a été nommé ministre de la santé publique et du travail ([10]).
La population religieuse du Japon :
Fin 2003, il existait au Japon 182.985 personnes morales religieuses (source : Shukyô nenkan, « Annuaire des religions »), mais il est impossible de mesurer de façon précise la population religieuse du pays. Selon les statistiques du gouvernement, à la fin de 2004, on estimait à 213.820.000 le nombre de croyants au Japon, soit nettement plus que la population totale de l’archipel, qui était alors de 127.650.000 habitants. Cela tient à l’ambiguïté de la conscience religieuse chez les Japonais. Il n’est en effet pas étonnant pour un chrétien de participer à des rites shintoïstes dans son quartier. L’actuel ministre des Affaires étrangères, Aso Taro, est un des hommes politiques soutenant nettement la visite au sanctuaire Yasukuni, bien qu’il se déclare chrétien. On dit souvent qu’un Japonais est présenté au sanctuaire shintoïque par ses parents durant sa petite enfance, qu’il affectionnera de se marier à l’église et qu’il deviendra bouddhiste avec le grand âge.
Le shintoïsme a son origine lointaine dans les croyances et pratiques populaires de l’Antiquité et il faudra attendre le VIIIème siècle pour qu’il puisse avoir une structure religieuse comme culte en relation syncrétique avec le bouddhisme. C’est donc celui-ci que nous évoquerons en premier.
Le bouddhisme au Japon :
Le bouddhisme des périodes de Nara et de Heian (ou Kyoto): On estime que le bouddhisme est arrivé au Japon au cours du VIème siècle, sous la dynastie chinoise des T’ang. Il a immédiatement formé des congrégations dont certaines existent encore, qui sont classées comme les « six sectes de Nara », mais leur influence sociale est aujourd’hui négligeable([11]).
A partir du IXème siècle, le bouddhisme, qui était jusqu’alors circonscrit à l’aristocratie, s’enracine dans le peuple et les deux branches représentatives de l’époque de Heian - Tendai et Shingon - restent très influentes. Elles conservent cependant un caractère archaïque et manque de dynamisme religieux. Elles demeurent ainsi indifférentes aux questions politiques, sauf plusieurs branches dérivées de l’école Shingon. C’est durant la même période qu’est née la secte ascétique Shugendô qui existe toujours, mais avec une influence limitée([12]).
Le bouddhisme de la période de Kamakura : Un réforme religieuse s’est produite aux XIème et XIIème siècles, à l’époque du passage de la société antique à la société féodale. Dans un contexte d’attente de la fin du monde, des sectes nouvelles se sont enracinées dans les couches les plus humbles de la société, paysannerie et pêcheurs. Les sectes du courant Jôdo soulignaient que l’au-delà était présent dans le cœur de chaque individu, sans distinction sociale, ce qui a pu conduire des paysans convertis à s’insurger et même à former un territoire autonome dans l’actuelle préfecture d’Ishikawa Les sectes du courant zen mettaient, de leur côté, l’accent sur l’intériorisation de la foi et imposaient des préceptes stricts. Enfin, le courant du moine Nichiren s’est orienté vers une indépendance totale vis-à-vis du pouvoir politique et se caractérisait par la pensée du pays divin et le rejet des autres cultes entachés par la relation syncrétique avec le shintoïsme. Ce courant s’est fortement enraciné au sein de la paysannerie([13]).
Au cours du « Moyen-Age » japonais, du XIIème au XVIème siècle, le bouddhisme en est venu à recouvrir tous les aspects de la culture et de la vie sociale. Les empereurs n’y faisaient pas exception qui furent exclusivement bouddhistes jusqu’au milieu du XIXème siècle. Les branches ci-dessus indiquées constituent ce que l’on appelle le « courant majeur » (kisei shukyô) du bouddhisme d’aujourd’hui.
Shntoisme Avant le XVIIIème siècle, le shintoïsme existait en syncrétisme avec le bouddhisme mais, au cours du XVIIIème siècle, le dévelopepement des « études nationales » (kokugaku) l’ont conduit à se doter d’une idéologie spécifique et à créer des théories dont certaines ont formé le terreau de la pensée fasciste japonaise([14]). Le régime établi en 1868, sur le démembrement du shogunat Tokugawa, a placé le shintoïsme développé au cours du XVIIIème siècle comme principe directeur de l’organisation de l’Etat et a mené campagne contre le bouddhisme et le confucianisme. En parallèle avec l’établissement du système parlementaire, il a fondé un shintoïsme d’Etat et transformé les sanctuaires shintoïques en lieux de respect obligatoire de la nation. Le concept de la divinité de la personne impériale a été un élément central du shintoïsme d’Etat. Les différentes nouvelles sectes shintoïstes ont été regroupées dans une catégorie auxiliaire.
Les nouvelles sectes (shin shûkyô) :
Comme tous les cultes existants avaient été récupérés au sein de la structure de domination établie par le shogunat Tokugawa, il était en quelque sorte naturel que de nouvelles sectes fussent créées lors de l’ébranlement du régime, à l’orée du XIXème siècle. Diverses nouvelles « religions », parmi lesquelles la Tenrikyô, sont ainsi apparues qui prônaient la réalisation des espérances dans ce monde terrestre([15]). Dans la sphère du bouddhisme, c’est surtout à partir de l’école de Nichiren que s’est produit une dérive vers la formation de sectes nouvelles. Celles-ci ont pu se développer grâce à leur syncrétisme avec le shintoïsme, bien que celui-ci fût devenu culte d’Etat, et grâce à l’association de ce dernier à la mythologie japonaise. Des limites sont cependant vite apparues et les « nouvelles religions » ont donné naissance, à leur tour, à de nouvelles sectes. Celles issues du courant de Nichiren ont connu un large essor au cours de la haute croissance économique d’après guerre, du fait de leur attachement à la réalisation des espérances dans le monde présent : Reiyûkai, Sôka Gakkai (« éducation à la création de valeurs »), Risshôkosekai (en mot à mot, « Société pour l’établissement du bien et de la perfection personnelle par le compagnonnage »), Bussho gonenkai, etc. Avec la fin de la croissance rapide, au début des années 1970, leur expansion a été freinée et une nouvelle génération, appelée « néo-nouvelles sectes » par les médias, est apparue, aux tendances plus mystiques, par exemple la croyance en l’immortalité de l’âme.
La plus importante rente de situation : les faveurs du régime fiscal :
Ce qui décide largement la relation entre les milieux religieux et le Parti libéral-démocrate, ce sont les mesures en faveur des personnes religieuses qu’accorde le régime fiscal. C’est là une rente de situation qu’assure le PLD en récompense du soutien apporté par ces dernières. Les dispositions fiscales sont les suivantes : a) exemption de l’impôt sur les activités religieuses à but non lucratif, b) allégement de 10% sur les profits dégagés par les activités lucratives, c) déduction systématique de 20% sur les profits dégagés par des activités lucratives s’ils sont affectés à des activités religieuses, d) exemption de l’impôt sur les revenus financiers, intérêt et dividendes, e) exemption de l’impôt sur les immobilisations destinées principalement aux activités religieuses. On peut comprendre les dispositions a) et e), mais les autres sont fort critiquées dans la mesure où elles apparaissent comme ayant des motivations politiques. En tout état de cause, cela explique pourquoi le nombre des personnes religieuse avoisine les 183.000 car, une fois la reconnaissance comme personne religieuse accordée, aucune enquête précise n’est ensuite engagée par les pouvoirs publics, ce qui, à la limite, permet de faire n’importe quoi. Cette situation entrave par là le développement qualitatif des religions au Japon(8).
On peut, à ce propos, citer parmi les personnes religieuse les plus prospères, la Sôka Gakkai dont le revenu en 2004 était de 16.353.120.000 yens, soit environ 125.793.000 euros, et, avec 712.160.000 yens (5.478.000 euros), Meiji jingu. La première est un groupe de croyants de la secte Nichiren Shôshu issue de la branche Nichiren du bouddhisme et le second est un sanctuaire shintoïque où est honoré l’empereur Meiji, l’arrière grand père du présent empereur.
Le déploiement de l’influence politique des organisations religieuses :
Le déploiement de l’influence des organisations religieuses sur le processus de détermination de la politique prend plusieurs formes. Tout d’abord, en dehors de l’organisation du Parti libéral-démocrate, existe le Kômeitô, au mot à mot le « parti pour un gouvernement juste » créé par la Sôka Gakkai et qui est le partenaire du PLD au gouvernement. Dans le cadre de cette coalition, la Sôka Gakkai soutient des candidats du PLD dans les circonscriptions où le Kômeitô ne se présente pas, si bien qu’elle a joué un grand rôle dans la victoire du parti conservateur lors des élections de septembre 2005. La Sôka Gakkai est cependant connue pour son caractère exclusif et se trouve en concurrence durable avec d’autres nouvelles sectes issues de la branche Nichiren, telle la Risshô Koseikai et la Bussho gonenkai.
A l’intérieur de la structure du PLD, certaines sectes imposent leurs objectifs aux éléments des courants droitiers afin de créer des conditions favorables à la gestion de leurs intérêts matériels et à leurs dogmes, à travers les politiques éducatives et religieuses. Les grandes écoles du bouddhisme, qui disposent d’un prestige et de principes ancrés dans l’histoire, n’ont pas nécessairement besoin de développer des activités politiques. Par la présence de fidèles à l’intérieur du parti conservateur, elles parviennent à exercer une influence. Aussi s’orientent-elles vers la conservation des avantages acquis. Par contre, certaines grandes nouvelles sectes, en particulier de la mouvance shintoïste ou de l’école Nichiren du bouddhisme, interviennent activement sur le plan politique, soit du fait de la relation établie entre leurs dogmes et le système impérial, soit du fait de la concurrence entre sectes.
Les politiques des fédérations religieuses :
A l’exception de la Sôka Ga
errons, elles sont, sur certains points, en voie d’être satisfaites.
abrge.
Il est impossible aujourd’hui de classer de façon quantitative les adhérents ou quasi adhérents du PLD en fonction de leurs affiliations religieuses. En 1999, selon le quotidien « Mainichi » en date du 9 septembre de la même année, les croyants de la secte MOA et de la Bussho gonenkai représentaient un quart du million d’adhérents ou quasi adhérents du parti conservateur, respectivement 16 et 9%. Ces croyants ne seraient pas nécessairement informés de leur appartenance au PLD. Par exemple, dans le cas de la Reiyûkai, le sénateur Kuse Kimitaka a expliqué en 2000 qu’un personnage important de cette secte avait payé 100 millions de yens au titre de l’adhésion au PLD de 33.333 fidèles. Selon cet ancien chef de la Commission gouvernementale pour la reconstruction financière, il lui a fallu recruter un nombre aussi grand de nouveaux adhérents pour que son nom soit inscrit en bonne place sur la liste des candidats conservateurs au scrutin à la proportionnelle pour la désignation de la Chambre des Conseillers (conférence de presse donnée le 30 juillet 2000, source : Commission gouvernementale pour la reconstruction financière).
Nous pouvons diviser grossièrement les mouvements d’extrême droite d’aujourd’hui en trois types: les activités de rue, en tenues paramilitaires, de l’extrême droite liée à la pègre organisée des yakuza, en recherche de fonds de la part des entreprises ; un courant ayant une forme d’idéologie, comme par exemple la Daitôjûku ou « Ecole du grand Orient » ; le courant religieux. Les deux premières sont tout à fait marginales sur le plan politique, faute d’emprise au niveau de l’Etat. Le courant à référence religieuse est beaucoup plus important car il est en mesure d’intervenir dans les décisions concernant la politique éducative et l’administration de l’enseignement public, grâce à sa stratégie à long terme, à son emprise sur le processus de détermination des décisions au sein du PLD, dans les domaines précités, et parce qu’il peut exploiter la naïveté des croyants de base, qui sont susceptibles d’être mobilisés et d’apporter des fonds financiers conséquents.
Le noyau de l’extrême droite religieuse est constitué par la Nippon Kaigi, la « Conférence du Japon ». Celle-ci s’appuie sur des sectes religieuses, par exemple l’association nationale des sanctuaires shintoïques, est liée à une partie des milieux d’affaires, organise son groupe parlementaire au sein du PLD, si bien qu’elle est aujourd’hui à la pointe du front fondamentaliste japonais. Ses exigences politiques sont quasiment celles de la ligue politique shintoïste et il n’est donc pas nécessaire de pousser l’analyse plus loin. En tout état de cause, son but ultime est la révision de la constitution actuelle, ce qui n’est pas pour demain et ne correspondrait sans doute pas complètement à l’objectif visé..........Les visites régulières du premier ministre Koizumi au sanctuaire Yasukuni font partie de ces acquis.
Pourtant, cette organisation ne se rassemble pas autour d’une idéologie fanatique, à une de ses composantes près, ni ne dispose d’une pensée nouvelle et construite avec quelque rigueur intellectuelle que ce soit. Il semble bien que son souci majeur soit de créer les conditions pouvant lui permettre de disposer à long terme d’une rente économique, au sens large. Mais pour dépasser ses limites idéologiques, force lui est de s’appuyer sur le fondamentalisme réactionnaire, ce qui risque bien de conduire à justifier les principes de gouvernance d’avant-guerre. De plus, on peut craindre qu’il n’y ait pas aujourd’hui de contrepoids suffisant, ce qui demande de notre part un développement plus substantiel.
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Au sein de cette « Nippon Kaigi (9), les organisations les plus actives, aux côtés de l’association des sanctuaires shintoïques, sont des nouvelles sectes bouddhistes issues de l’école de Nichiren, comme la Reiyûkai, la Bussho gonenkai et d’autres. On ne saurait pour autant négliger la Kokuchukai qui, bien que petite, a joué un rôle éminent dans le mouvement fasciste d’avant la guerre. Parmi les sectes issues du shintoïsme, il importe d’évoquer la Seichô-no ié, qui demande une législation instaurant l’empereur comme chef d’Etat, alors que selon la constitution il n’est que le symbole de la nation, et la secte Mahikari, des « nouvelles religions » la plus respectueuse de l’empereur, et dont le fondateur est connu pour son antisémitisme (10) Parmi les chrétiens, on trouve les Pentecôtalistes du Christ secte créée en 1948, qui établit une liaison entre le judaïsme et la maison impériale en assimilant le contenu de la mythologie japonaise à l’Ancien Testament. Enfin, la secte Moon joue un rôle, qui a des rapports avec certaines parlementaires du PLD.
Le président de cette conférence est un ancien président de la Cour suprême connu pour son conservatisme. Un des vice-présidents est le chairman honoraire de la firme Fujitsu et le prêtre en chef adjoint du sanctuaire Meiji se trouve à la tête du conseil d’administration qui regroupe les organisations ci-dessus indiquées, ainsi que le gouverneur de Tokyo, Ishihara Shintaro, lié comme nous l’avons vu à la Reiyûkai. Cette association a formé en 1997 un groupe parmi les parlementaires du PLD, lequel compte environ deux cents membres, bien que 110 seulement aient été présents lors de l’assemblée générale à la fin de 2005, suppléants compris. En fait, il constitue un point d’appui des parlementaires de la droite du parti conservateur : Aso Taro, l’actuel ministre des Affaires étrangères, en a été le chef et le ministre de l’économie et de l’industrie, Nakagawa Shoichi, le chef suppléant.
Les interventions politiques en matière d’éducation :
Il convient de souligner l’activisme de cette conférence en matière de politique éducative. Cette question constitue pour elle un objectif stratégique à long terme, vraisemblablement parce que l’éducation est le meilleur domaine où elle peut espérer étendre son influence. Même la presse étrangère a traité ces dernières années de la campagne à propos des manuels scolaires d’histoire japonaise. ......
Le gouvernement a déposé en avril 2006 un projet de révision de la loi fondamentale sur l’éducation. Quand bien même elle ne pourra vraisemblablement pas être discutée lors de la présente session, pour des questions de calendrier parlementaire, elle devrait l’être à la session de l’automne prochain et cela représente d’ores et déjà une victoire pour la Nippon Kaigi et la ligue politique shintoïste. Outre l’accent placé sur les investissements publics en faveur des études liées à la recherche-développement des technologies de pointe ou sur la formation d’élites industrielles que demandent depuis longtemps les milieux d’affaires, le contenu de ce projet se caractérise par l’imposition en force du patriotisme, de l’éducation morale dont la puissance publique définirait pratiquement le contenu, toutes choses qui renforceront encore le contrôle de l’Etat sur l’éducation.
Les raisons pour lesquelles le mouvement fondamentaliste au Japon a été activé à partir du milieu des années 1970 sont complexes, mais, quelles que soient ces raisons, on est entré dans une nouvelle phase, au fur et à mesure que le shintoïsme orthodoxe et de nouvelles sectes à contenu shintoïste se sont politisés. Ce sont en effet là les forces motrices du fondamentalisme japonais, comme le montre le projet de révision de la loi fondamentale relative à l’éducation. Leur comportement constitue un des éléments de la droitisation accentuée du PLD et on peut s’attendre à ce que ces forces jouent un rôle éminent dans la campagne pour la révision constitutionnelle (particulièrement à propos du statut de l’empereur et des forces armées) qui devrait être proposée dans un avenir proche, si du moins le présent rapport des forces politiques n’est pas modifié.
Pourtant, le shintoïsme orthodoxe ne peut s’appuyer fondamentalement que sur la nostalgie ou sur l’ethos assez vague des Japonais. Par ailleurs, la conscience religieuse des nouvelles sectes engagées dans cette « conférence » reste tout à fait singulière par rapport à celle des citoyens ordinaires. Tout cela laisse penser que des limites existent à l’expansion du mouvement fondamentaliste. Il convient toutefois de rester vigilant face à la convergence possible de ce fondamentalisme et des demandes patronales ou syndicales en faveur d’une augmentation des investissement en matière d’armements, bien que le pays dispose désormais de la deuxième marine du monde par le nombre de ses bâtiments. Certains anciens dirigeants droitiers du mouvement syndical siègent déjà au conseil d’administration de la « conférence », aux côtés d’hommes d’affaires.
[9] Le terme « secte » est compris ici au sens japonais ou anglo-saxon d’organisation religieuse, encore que certaines d’entre les « nouvelles sectes » (la secte Aum par exemple) participent du phénomène sectaire tel qu’on l’entend en France. Les religions établies du Japon, le bouddhisme en particulier, connaissent de nombreux « courants » ou « écoles », subdivisés souvent en « branches » différentes. Dans l’usage commun, « écoles » et « branches » sont appelées indifféremment « sectes », terme qui reste neutre.
[10] La Reiyûkai a été fondée en 1923 et s’inscrit dans la tradition bouddhique (son nom fait référence au rituel en souvenir des défunts), alors que Makihari est une néo « nouvelle religion », apparue dans les années 1970 et faisant appel aux croyances magiques.
[11] Les sectes Sanron, Jôjitsu, Hossô, Kusha, Kegon et Ritsu. 139 temples eulement sont aujourd’hui affiliés à l’une ou l’autre d’entre elles.
[12] Les écoles Tendai et Shingon ont longtemps été rivales. La première est issue de la secte chinoise Tiantai et a été fondée en 1086 par Saichô, avec son temple principal sur le mont Hiei, à proximité de Kyoto. Elle fut relancée par Ennin et donna naissance au mouvement de la « Terre pure » dont sont issus plusieurs autres courants du bouddhisme japonais. L’école Shingon est antérieure, puisqu’elle a été fondée au IXème siècle par Kûkai, avec son centre principal sur le mont Koya, dans la préfecture actuelle de Wakayama. C’est un courant ésotérique du bouddhisme, le plus proche du tantrisme tibétain. L’école Tendai compte actuellement 4.300 temples et environ 20.000 prêtres, alors que le Shingon, qui comporte 45 branches, comptait 12.394 temples en 1989. Le Shugendô est d’origine érémitique : le fidèle doit « entrer dans la montagne » (nyûbu), c’est à dire gravir une des montagnes sacrées à chacune des quatre saisons, afin d’effectuer le passage de l’état profane à l’état sacré, et se livrer à des exercices d’ascèse pouvant le conduire à l’état de bouddha.
[13] Le bouddhisme de la « Terre pure » renonce à la vie monastique comme voie du salut. La foi et la récitation de l’acte de foi peuvent permettre à tout mortel d’atteindre le « paradis de l’Ouest » ou « Terre pure » du bouddha Amida , ce qui induit une vision eschatologique de l’existence. Les deux fondateurs de ce courant, Hônen (1133-1212) et Shinran (1173-1263) eurent maille à partir avec le pouvoir de l’époque. Le moine Nichiren (1222-1282), quant à lui, était à la recherche d’une voie rigoureuse, ce qui l’a conduit à s’opposer violemment aux écoles établies et à critiquer le pouvoir. Il fut exilé dans l’île de Sado entre 1271 et 1274.
[14] A l’époque d’Edo existaient au Japon trois sphères culturelles distinctes mais non fermées, la culture paysanne, imprégnée d’un bouddhisme syncrétique où les écoles de la « Terre pure » étaient prédominantes, la culture des quartiers plébéiens (shitamachi) des villes, traversée de courants divers, au sein de laquelle naissait une modernité endogène, et la culture officielle du régime Tokugawa, fondée sur les « études chinoises », avec pour idéologie un néo-confucianisme « militarisé » par son association avec le bushidô, la « voie du guerrier » - pureté des intentions, fidélité absolue au suzerain, culte du sacrifice désintéressé -, qui jouait une fonction compensatrice à la domestication des samouraïs. Le mouvement des « études nationales » (kokugaku) , soutenu par des éléments du shogunat Tokugawa commence par l’étude philologique et littéraire des œuvres les plus anciennes, en particulier le recueil de poèmes Manyôshû et dans le « roman » Genji monogatari (le « dit de Genji ») dans lesquelles on pense découvrir l’authenticité de la sensibilité nippone, avant qu’elle n’ait été recouverte par l’influence chinoise. Ainsi, Motoori Norinaga (1730-1801) élabore le concept central de mono aware, la « prégnance des choses » à l’oeuvre dans les différentes formes littéraires. Travaillant sur le « Kojiki », chronique historique datée de 712, ce même érudit pense avoir trouvé la « voie des Anciens » (Kodô), moins moralisante que la pensée chinoise et plus sincère. Hirata Atsutane (1776-1843) assimilera cette voie au shintoïsme – la « voie des Anciens » conduit à la « voie des dieux », qui est le sens du mot « shintô - dont il construit une cosmogonie qui sera le fondement du shintoïsme d’Etat et du concept d’ « essence nationale » (kokutai) central au nationalisme et au fascisme japonais.
[15] La Tenrikyô (« religion de la sagesse divine ») a été fondée en 1838 par Nakayama Miki, une pieuse paysanne qui eut la révélation de la divinité (kami) originelle, Tenri O no Mikoto, et du devoir qui était le sien de délivrer l’espèce humaine de la souffrance et la société de ses maux. Cette « nouvelle religion » compte environ 16.000 églises dans le monde. Son sanctuaire se trouve dans la ville de Tenri, à proximité de Nara, où elle a édifié une université de 3.000 étudiants, avec en particulier d’importants départements de langues étrangères et de japonais langue étrangère, un musée, une bibliothèque avec près de 2 millions de titres, un hôpital, et elle dispose d’une station de radio.
8 Nombre de temples et de sanctuaires sont entourés de boutiques, restaurants et magasins de souvenirs. Les établissements disposent des leurs à l’intérieur de leurs enceintes où on vend notamment de nombreux produits dérivés. Les biens fonciers, immobiliers et mobiliers des organisations religieuses sont considérables. Les temples bouddhiques contrôlent par ailleurs une bonne part du marché de l’au-delà : obsèques, crémations, cimetières.
9 En japonais, Japon peur se dire de différentes manières, les formes les plus usitées étant Nihon et Nippon. Celle-ci conserve une connotation nationaliste que l’on ne peut rendre en français.
10 La Seichô-no ié (« maison de la croissance ») a été fondée en 1930 par Taniguchi Masaharu, à partir de la secte Omoto. Pour lui, le bouddhisme, le shintoïsme, le christianisme et les autres vraies religions ne font qu’un. L’accent est placé sur la relation filiale entre le croyant et la divinité, principe de base du culte de l’empereur, relation par laquelle l’effort sur soi conduit à la « vérité de la vie » et à la libération des maux. La secte dispose de plus d’une centaine de centres à l’étranger.